Les Viziers 1830
Six ans déjà que notre bon empereur Napoléon s’était incliné face aux anglais à Waterloo. Nous sommes en 1821 à Bègues, petit village du bourbonnais, et plus précisément aux Viziers, charmant petit hameau à l’écart du village. Trois notables éclairent la commune de leur lumière. Le bourgmestre Sylvain Lenfant, homme de belle prestance au profil confortable qui s’était retiré des affaires pour régner sur ses administrés avec bienveillance et bonne humeur. Le curé, L’abbé Résina dont un boulet de canon avait emporté la jambe droite sur le champs de bataille d’Iéna, lui conférant l’allure bancale d’un pingouin, aidé en cela par sa soutane noire a jabot blanc. Pour sa part, Guenièvre, marieuse et guérisseuse exerçait son art aux Viziers. Elle était la représentante du Bourgmestre dans ce quartier peuplé de gens bizarres, fort gueulard, un peu soiffard, un tantinet fêtard, mais qui avaient le cœur sur la main. C’est dans ce contexte que notre quiétude fut ébranlée par un évènement remarquable
Un beau matin du mois de mai, la folle du vallon, qui vivait aux Viziers dans sa masure enchâssée au fond du vallon, comme son sobriquet l’indique, se pointa l’air courroucé chez le magistrat. Celui-ci en grand conciliabule avec le prêtre, se querellait allègrement avec lui, débattant de leur litige favori en évoquant l’empierrement du chemin vicinal reliant les bourgs de Bègues à Rochefort, en passant par le pont des Oyes, nouvellement restauré. Toutes affaires cessantes, il reçut la furie qui lui expliqua avec force gestes et jurons, que les longues plumes dorées qui ornaient le cul de ses poules disparaissaient à raison d’une par jour en moyenne. Le mystère semblait épais, mais la vilaine susurrait déjà insidieusement le nom des membres d’une fratrie de brigands qu’elle soupçonnait, âgés de six à treize ans. En effet, dans ce village d’irréductibles demeurait la famille Picateille qui élevait ses trois petits enfants orphelins. Le père n’était pas revenu d’un champs de bataille perdu aux confins d’une Europe inconnue, autant dire sur une autre planète. Ce foyer de paysans possédait peu. Il vivait en autarcie en s’appuyant sur un maigre cheptel de trois vaches, autant de chèvres, d’un cochons ainsi que d’une basse-cour de quelques poules et lapins. Un lopin de terre bien exploité les alimentait en légumes, et les cueillettes saisonnières complétaient le garde-manger en châtaignes, mûres, framboises et cerises aigres à l’eau de vie. Notre pain quotidien comme l’aurait dit le clérical, tournait autour d’une soupe de gruaux, agrémentée par quelques pommes de terre ou de topinambours les jours de fête. Les trois mouflets, Charlie, Samuel et Noah avaient l’habitude de musarder dans les campagnes alentours, maraudant une pomme par ci, un œuf tombé de la poule par-là, ou encore une patate grattée sous le pied. Ils partageaient ses chiches rapines avec une pauvre femme qui vivotait avec ses trois filles dans la chaumière du chuche, une masure en torchis et toit de chaume sans puit ni terre. Fanchon la maman, était une femme chétive aux cheveux longs filasses et blancs, clairsemés sur son crâne ayant souffert plus souvent qu’à son tour. Dans une vie antérieure elle remplissait la fonction d’écrivaine publique au chef-lieu de canton, titre administratif ronflant imposé par l’empereur aux nouveaux découpages territoriaux. Elle y vivait avec son homme romancier et leurs trois filles, Justine, Léonide et Bertille, qui aujourd’hui n’étaient plus des petites filles mais pas encore des femmes. Son mari lui avait été arraché par la conscription, mort au champs d’honneur comme ils disent, dans une guerre qui n’était pas sienne. Les Gannatois fervents chrétiens, les avaient chassées de leur appartement du 40 grande rue, juste au-dessus de l’éditeur bouquiniste qui salariait son époux. C’est lui qui signait nouvelles et romans, abreuvant l’éditeur d’histoires tristes et romantiques. Très cultivée et autrice de la moitié des récits publiés, elle n’en restait pas moins une femme, l’engeance même de celle qui bibliquement parlant fit croquer la pomme à Adam. Elle fut jetée à la rue avec ses filles par cette société bienpensante pour laquelle elle représentait le malin. Si seulement elle avait accepté de se remarier avec le notaire ou le tailleur qui lui rodait autour, elle n’était pas encore flétrie. Elle aurait pu leur consentir un rejeton ou deux, mais voilà, son homme était toujours ancré au fond de son cœur. Elle ne pouvait se résoudre à jeter aux orties quinze ans de bonheur. C’est en charrette à bras qu’elle transporta ses maigres reliques et ses baluchons pour échouer aux viziers, démunie et sans avenir. Par charité Guenièvre les hébergea dans une chaumière en piteux état qui lui appartenait. Elle s’était prise d’affection pour cette misérable famille et leur portait tisanes et soins quotidiens pour Fanchon. La déchéance de cette femme l’avait conduite à contracter une sérieuse bronchite, voire une fluxion de poitrine ou tuberculose. L’époux de Guenièvre, pesteur dans le hameau, prélevait chaque semaine une tourte de pain dans son pétrin et la lui faisait passer par sa femme. Les habitants du bourg eux même se réunissaient une fois par semaines chez la guérisseuse. Ils trinquaient d’un godet de rosé pas fort mais très âpre, tout en abordant les sujets communautaires. Fanchon et ses filles se trouvait au cœur de leurs préoccupations. C’est encore une fois le bourgmestre qui apporta un début de solution. Vu qu’elle semblait avoir des compétences, Il proposa à la miséreuse de rédiger les écrits municipaux.
Plusieurs semaines s’écoulèrent paisiblement. Tout en restant chez elle, Fanchon rédigeait des écrit au service de la commune, s’éclairant avec des bouts de chandelles offerts par Guenièvre et par les petits enfants Picateille.
C’est là que le drame importé par la folle du vallon éclata. Le vol des plumes sur le croupion des poulets motiva la visite du bourgmestre accompagné par l’abbé Résina, et par deux gendarmes moustachus à souhait. Ces derniers perchés sur d’immenses chevaux étaient sanglés dans leur bel uniforme noir, portant crânement bicornes et sabre à la hanche. Un cortège se forma escortant les représentant de l’ordre chez les trois suspects dénoncés. Un questionnement en règle et une perquisition sommaire furent opérés sans résultat chez les trois frères. Les regards se tournèrent alors vers cette famille récemment arrivée aux viziers. Cette Fanchon et ses trois filles qu’on ne connaissait d’ailleurs pas, n’étaient-elles pas des voleuse de plumes ? La procession se reforma, prenant la direction de la masure des étrangères. Sans ménagement la femme et ses filles se retrouvèrent place de la fontaine, transie l’une contre l’autre sous le regard soupçonneux des badauds menés par les deux commères du hameau. La visite domiciliaire fut diligentée séance tenante par la maréchaussée, qui ressortie une poigné de plume en main. Un lourd silence pesait sur la place, troublé par les vociférations excitées de la folle du vallon. Le bourgmestre intervint calmement, faisant remarquer aux pandores que pour des plumes de poules, elles étaient bien grosses. De toute évidence, il s’agissait des plumes d’oie fournies à la drôlesse par la mairie dans le cadre de ses attributions. Timidement, Samuel s’avança devant les autorités. Il pointait du doigt le poulailler de la folle du vallon où un coq droit sur ses ergots, avait entrepris de corriger une poulette, lui arrachant furieusement les plumes du croupion.